L’ECONOMIE DU COUPLE

affiche-l-economie-du-coupleFilm de Joachim Lafosse
Comédie dramatique – Belgique, France – 2016 – 1h40
Avec Bérénice Bejo, Cédric Kahn, Marthe Keller, Catherine Salée, Jade Soentjens

Joachim Lafosse filme, avec délicatesse et pragmatisme, la rupture amoureuse et l’éclatement d’une cellule familiale dans L’Économie du couple, découvert lors de la dernière Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Vif et saisissant.
Bande A part

La caméra, presque infiltrée, s’immisce au plus près des personnages, de leurs angoisses et des si rares moments de trêve. Juste et poignant.
Le Point

Bérénice Béjo et Cédric Kahn livrent une impressionnante performance, d’une sensibilité rare.
Ouest France

SYNOPSIS

Après 15 ans de vie commune, Marie et Boris se séparent. Or, c’est elle qui a acheté la maison dans laquelle ils vivent avec leurs deux enfants, mais c’est lui qui l’a entièrement rénovée. À présent, ils sont obligés d’y cohabiter, Boris n’ayant pas les moyens de se reloger. À l’heure des comptes, aucun des deux ne veut lâcher sur ce qu’il juge avoir apporté….

CRITIQUE

Ils y ont vécu heureux. Longtemps. C’est là que sont nées leurs jumelles chéries… Sur le point de divorcer, ils se font face dans le salon de cette villa qu’ils se ­disputent, aujourd’hui, pas même conscients d’être vaguement ridicules, et même méprisables, avec leurs arguments procéduriers… Elle lui propose un tiers. Un tiers de la valeur de la maison, à condition qu’il parte immédiatement, qu’il s’en aille vivre ailleurs sa vie de joueur irresponsable, loin d’elle et des filles… Lui en veut la moitié. Mais la maison est à elle, s’indigne-t-elle, elle l’a achetée, jadis, avec l’argent de sa mère, alors que lui n’avait pas un radis. Oui, mais qui lui a donné son lustre, à cette maison, qui l’a embellie, l’a transformée au point de faire doubler sa valeur marchande ? Lui, avec ses dons d’architecte et son talent de décorateur. Il exige sa part : la moitié ou rien.

Alors, dans ces lieux immobiles qui semblent les narguer par leur douceur, Marie (Bérénice Bejo, dans son meilleur rôle, de loin) et Boris (Cédric Kahn, impec en charmeur infantile) restent ensemble. Lui, exilé dans une chambrette, comme le parent pauvre qu’il n’a jamais cessé d’être. Elle, butinant dans les autres pièces, telle une abeille affairée à faire ce qu’elle doit : s’occuper des jumelles, d’abord. Mais aussi rapporter le fric que l’autre n’a jamais été fichu de gagner… Généralement, lorsque la passion est morte, on se partage les enfants et les meubles. Le titre de Joachim Lafosse l’indique : c’est son économie que se dispute le couple. Sa part de marché réciproque. Ce n’est pas : « Je veux ci », mais « Je vaux ça ». C’en est terrifiant.

Dans leur cohabitation forcée, presque comique, chaque détail est réglé au millimètre : les jours où, revenue tôt du boulot, Marie s’occupe des filles, Boris ne peut rentrer dans sa tanière qu’après 23 heures. Et le grand frigo, qui trône dans le salon, est divisé en deux. Gare à Boris s’il mange, par inadvertance, du fromage dans la ­partie qui n’est pas la sienne : « Écoute, je veux bien être cool, mais il y a des limites. Tu arrêtes de manger la bouffe des filles »… Ce n’est même plus le désamour que cerne le cinéaste, mais l’anamour, façon Gainsbourg. Marie et Boris se sont aimés, c’est évident : chaque regard l’atteste, chaque reproche le prouve. Mais c’est leur passion passée qui nourrit la rancoeur d’aujourd’hui. « Sa manière de marcher, de se tenir, tout en lui m’exaspère. Il me rend dingue. Je ne peux plus être dans la même pièce que lui, je ne peux plus le regarder, je ne sais plus le regarder, j’ai l’impression que je ne l’ai jamais regardé de ma vie. »

On est au-delà du mépris de Bardot dans le film de Godard. Et pas encore dans la haine d’Elizabeth Taylor dans Qui a peur de Virginia Woolf ? Dans un entre-deux que le réalisateur filme comme un chorégraphe : ses deux personnages vont, viennent, prisonniers d’un espace qu’ils ne peuvent quitter ni l’un ni l’autre. Et la caméra qui les suit, qui les frôle, presque, souligne leur errance désordonnée, répétitive, obsessionnelle. Comme en témoigne ce plan séquence magnifique — totalement inutile à l’action, donc magnifique — où elle, d’abord, lui, ensuite, traversent l’appartement pour se servir à boire ­et vont s’asseoir l’un derrière l’autre, silencieux, sans se comprendre, ni se déprendre. « Autrefois, dit celle que nul n’écoute, la mère de Marie (Marthe Keller), on savait réparer : les chaussettes, les frigos. Maintenant, dès qu’il y a un problème, on jette. Pareil dans le couple : plus de désir, on jette ! »

Constamment fluide, aérienne, la mise en scène se fige brutalement lors des moments où le réalisateur semble compter, un à un, les coups qu’échangent ses personnages. Notamment lors de cet étrange dîner entre amis qu’a organisé Marie. Boris n’est pas ­invité, bien sûr, mais il survient, exactement comme elle l’avait — secrètement — prévu. Il s’incruste, alors, apparition indésirable qui semble jouir de la gêne que sa seule présence suscite. La référence à A nos amours est aveuglante et revendiquée. Maurice Pialat rôde toujours chez Joachim Lafosse, qu’il filme une femme amenée à l’infanticide (A perdre la raison), un ado philosophiquement et sexuellement initié par un trio pervers (Elève libre). Ou — tiens donc, déjà — un cul-de-sac familial, avec maison à vendre et père interdit de séjour (Nue propriété, avec Isabelle Huppert, en 2006)…

A chaque fois, ce qu’il détaille, c’est la perte du libre arbitre chez un individu, lentement cerné par des forces qui l’entravent, puis le paralysent. Il s’agit alors de résister ou de se perdre. Comme tous les films du cinéaste, L’Economie du couple est un thriller moral.

Pierre Murat – Télérama

Ce film est précédé du court métrage

BLANQUETTE
Film de Charlie Belin
Animation – France – 2015 – 4’18

Les discussions croisées d’une famille réunie pour partager un repas.

SÉANCES

BANDE ANNONCE

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