FOXCATCHER

affiche foxcatcherFilm de Bennett Miller
(Drame – USA – 2015 – 2h14 – VOST & VF)
Avec: Channing Tatum, Steve Carell, Mark Ruffalo, Sienna Miller
Prix de la mise en scène – Cannes 2014

Médaillés d’or olympique en 1984, Mark et Dave Schultz rejoignent le club de lutte flambant neuf du philanthrope et millionnaire John du Pont, situé dans son luxueux domaine de Foxcatcher. Sous le charme du patriote excentrique, séduits par la perspective de mettre en place la meilleure équipe de lutte au monde, les frères catcheurs vont bientôt être en butte aux délires paranoïaques de Du Pont et sa volonté irrationnelle de garantir la victoire des États-Unis à l’étranger…

« En 1996, l’immense propriété pennsylvanienne du milliardaire John E. du Pont, ornithologue du dimanche et propriétaire de l’équipe de lutte Foxcatcher, dirigée par le champion américain et médaillé olympique David Schultz, fut le terrain d’un fait divers bizarre, largement oublié depuis. De cette histoire dont nous nous garderons de révéler ici les détails, Bennett Miller, l’auteur du crépusculaire Truman Capote, a tiré un film inquiétant, dont la beauté plastique, fascinante, le dispute à une formidable acuité politique. Présenté en mai 2014 en compétition à Cannes, Foxcatcher oppose, dès ses premières minutes, deux régimes d’images. D’un côté ce qui s’apparente à des archives documentaires, en noir et blanc, en 16 mm, où des chasseurs à cheval traquent un renard dans l’aube blême d’une campagne givrée. La scène, magnifique, qui semble venir de la nuit des temps du cinéma, renvoie aux traditions de l’aristocratie européenne, qu’ont réactivées quelques grandes familles de la Côte Est des États-Unis. De l’autre côté, dès la séquence suivante, la couleur, le 35 mm. Cette couleur qui semble avoir perdu tout son éclat, c’est celle d’une salle de sport miteuse où un athlète bodybuildé se bat comme un lion avec un gros boudin enrobé de scotch noir. Elle traduit le point de vue de ce film qui pose un regard rétrospectif, terriblement désabusé, sur la fin de l’ère reaganienne, offrant un miroir inversé à l’imagerie des success stories à la Rocky qui faisaient florès à l’époque. Le lutteur bodybuildé, c’est Mark Schultz (Channing Tatum) qui a cumulé les titres de champion national et de champion olympique de lutte. Mark est le cadet de David (Mark Ruffalo), lui aussi lutteur, lui aussi champion olympique. Le plus jeune est le moins célèbre des deux, le plus introverti, le plus sombre, le moins intégré socialement. Il a grandi dans l’ombre de Dave, père de famille et grand frère responsable, réglo, aimant, qui lui sert de coach, dans la salle de sport comme dans la vie. On retrouve Mark debout sur une estrade, devant un public clairsemé d’écoliers, vantant, solennel, les valeurs de l’Amérique, dont la lutte gréco-romaine serait, selon lui, la traduction concrète la plus juste. Pour sa prestation, l’intendante de l’école lui signe un pauvre chèque de 20 dollars. Aussi la voix qui lui annonce au téléphone qu’un homme dont il n’a jamais entendu parler, John E. du Pont, souhaite le rencontrer et qu’il met pour cela un billet d’avion en première classe à sa disposition, a-t-elle des accents providentiels. Héritier d’une grande lignée d’industriels américains d’origine française, les du Pont de Nemours, John E. du Pont convoque Mark Schultz pour lui proposer de diriger, sous la bannière Foxcatcher, une équipe de lutteurs qu’il veut conduire aux Jeux olympiques de Séoul en 1988. Cet homme au physique malingre, au teint livide, interprété par un Steve Carrell rendu méconnaissable par les prothèses, séduit autant le jeune homme par les conditions de vie luxueuses qu’il lui fait miroiter que par le discours qu’il lui tient sur l’Amérique, qui aurait, selon lui, renoncé à ses ambitions, abandonné ses champions, et dont il entend restaurer la grandeur. Cette convergence de vues entre les deux personnages fait partie des libertés que Bennett Miller a prises avec le fait divers, Mark Schultz ayant toujours clamé (notamment dans son livre coécrit avec David Thomas, Foxcatcher, Penguin, 2014) que du Pont lui était apparu, dès leur première rencontre, comme un personnage pitoyable. Outre les ressorts dramatiques qu’elle permet, cette tricherie avec les faits met en lumière un des effets de la propagande patriotique de l’ère Reagan : une union sacrée transcendant les conflits de classes, fatalement vouée à se retourner contre les opprimés. Le film commence, en outre, en 1987, et rien dans sa structure ne permet de penser qu’il se termine en 1996. La date de l’effarant dénouement n’étant pas précisée, le spectateur est porté à croire qu’il advient au bout de quelques mois seulement, et à percevoir cette histoire comme un symptôme de cette période annonciatrice de la nôtre, où s’accroissaient violemment les différences de revenus entre riches et pauvres, tandis que le spectacle étendait, notamment à travers la télé et la vidéo, son emprise sur le monde. La vidéo, sous la forme particulièrement pauvre des documentaires ultra-formatés dont se repaissaient déjà les chaînes du câble américaines (montage de têtes qui parlent, d’images illustratives et de voix off), est le troisième régime d’images qui compose le film. La famille du Pont en a commandé un, qui la présente comme une dynastie quasi-aristocratique ayant contribué à fonder les Etats-Unis. Sommé de le visionner dès le jour de son installation, le champion contribuera ensuite à ce qui apparaît progressivement comme le dessein ultime de son étrange mécène : l’édification, à partir de rien et au moyen d’un de ces films en toc, de sa légende personnelle. Mégalomane, paranoïaque, incapable d’avoir un rapport humain qui n’implique pas une transaction (« j’avais un seul ami quand j’étais enfant, et un jour j’ai compris que ma mère le payait pour qu’il me parle »), du Pont se fait appeler Golden Eagle (« l’aigle doré »), organise des tournois de lutte bidons uniquement destinés à le faire gagner… Dans le rôle, Steve Carrell, superstar de la comédie américaine révélé par 40 ans toujours puceau, est excellent, accordant parfaitement son tempo, tout en contrepoints, en suspensions, en saillies pince-sans-rire, à celui de la mise en scène – à moins que ce soit le contraire. Il est à la fois grotesque, et rendu terriblement inquiétant par le pouvoir que lui donne son argent. Asservissant aux exigences de sa fiction délirante toute une cohorte d’individus (sportifs, avocats, documentaristes…) qui, en en devenant les acteurs, lui donnent une réalité, il s’affirme, à mesure que la brume se dissipe autour de lui, comme le dictateur d’un régime fasciste miniature. Au fil de longs plans séquences contemplatifs, baignés dans des paysages sonores sourdement bourdonnants, l’impression domine d’être dans un rêve éveillé, où les sensations priment sur les dialogues, au point que ceux-ci sont régulièrement rendus inaudibles, quand ils ne sont pas répétés en boucle, comme des mantras. Pour filmer la campagne, la brume, Bennett Miller semble puiser dans une tradition paysagère de la peinture américaine. Pour les chevaux, les lutteurs (qui confirment le penchant du cinéaste à filmer les corps en mouvement, déjà déterminant dans Le Stratège, son film précédent, situé dans le milieu du base-ball), ce serait plutôt les séries photographiques de Muyerbridge. A peine Mark Schultz a-t-il posé ses bagages que du Pont l’entraîne dans un jeu pervers, soufflant le chaud et le froid, identifiant ses faiblesses pour mieux le vampiriser, le détruire. Le milliardaire appellera finalement son frère pour le remplacer, lui prouvant ainsi, ultime cruauté, que celui qu’il estime plus que tout est aussi corruptible que n’importe qui. On pense à la relation entre Liberace et son protégé Scott Thorson telle que l’avait dépeinte Steven Soderbergh. Mais plus encore à Psychose, le personnage de la mère castratrice qu’interprète, bien calée dans un fauteuil roulant, l’épatante Vanessa Redgrave, ayant des traits communs avec celle de Norman Bates. La noirceur absolue du propos, qui explose dans une déflagration glaçante, va de pair avec un désir viscéral de représenter le monde dans sa complexité, ses contradictions, ses apories – aussi bien sur le plan de la psychologie des personnages, que de la mise en scène qui n’hésite pas à brouiller les cartes et les genres. Emotionnellement ravageur – d’autant plus si l’on a récemment été traumatisé par une tuerie par balles – et intellectuellement passionnant. »
Isabelle Régnier – Le Monde

Vernoux (espace culturel Louis Nodon)
vendredi 20 février à 21h (VF)
samedi 21 février à 18h (VF)
dimanche 22 février à 20h30 (VOST)
lundi 23 février à 18h (VOST)

Lamastre (centre culturel)
vendredi 20 février à 21h (VF)
mardi 24 février à 20h30 (VOST)

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